Université Paris-Sorbonne(Paris-IV) Agence Nationale de la Recherche
Speaker: Alexis Tadié , Sylvie Kleiman-Lafon , Anne Simonin , Théodora Psychoyou , Sophie Vasset , Paddy Bullard , Alain Viala
Ce colloque s’inscrit à la mi-parcours du programme ANR-AGON. Il fait suite à plusieurs journées d’études (à Lille, à Canterbury) et sessions de séminaire (à Paris, à Oxford), qui ont notamment abouti à la publication d’un numéro de la revue Littératures classiques, intitulé Le Temps des querelles (dir. A. Viala et J.-M. Hostiou, à paraître à l’automne 2013). La préparation d’une base de données consacrée aux querelles et disputes de la première modernité constitue un second aspect important du travail collectif mené au sein du programme.
Ce colloque ouvre une deuxième phase des travaux, consacrée à l’incidence de la dispute sur la création. Cette thématique a récemment fait l’objet d’une exploration sous forme dramatique, dans le spectacle Dream on !, créé au Pegasus Theatre d’Oxford par Wes Williams (mai 2013).
Au cours de ce colloque, il s’agira plus particulièrement de se demander comment querelles et disputes permettent de penser et repenser la création.
Colin Burrow introduced the argument of his presentation by reminding us that the question of imitation first surfaced when Aristophanes and Euripides argued about the imitation of Aeschylus’s style. Such arguments were also rife in the Ciceronian controversies of the 15th and 16th centuries, which fed the debates between ancients and moderns. But the intellectual consequences of quarrels only become visible at the end, as a realignment in language operates.
Specifically, debates about copyright were fuelled by debates about imitation. The debates in the 18th century made use of the notion of property, which in turn derived from the Roman use of proprietas (connected with Aristotle’s conception of the domestic) – turning common elements of discourse into your own, a thought that Quintilian had first voiced, when he suggested that you learn from your predecessors. In particular, the notion of exercitatio includes dispositional imitation. The complexity of imitation appears in the fact that one should imitate Cicero but that he is inimitable (one can therefore imitate other people). Many metaphors come to play in order to describe this feature : images of bodily integrity for instance. In the eighteenth century, Locke’s philosophy allows two possible interpretations : can Locke’s conception of the mind as tabula rasa be reconciled with dispositional imitation ? Further, is Locke’s theory of property applicable to the written text, thereby providing a solution to the question of ownership ? Are words susceptible of an analysis in terms of property ?
The debate around Milton’s alleged thefts (fuelled by William Lauder’s series of articles in the Gentleman's Magazine, in 1747) shows the debate about imitation to be fierce, with, in particular, Richard Richardson’s pamphlet Zoilomastix, or, A Vindication of Milton from All the Invidious Charges of Mr William Lauder (1747). Lauder was later forced by Samuel Johnson to write an apology. But it is Warburton’s notion of « literary property » which fuses the languages of property and propriety in such discussions. Henry Fielding’s contribution suggests that the ancients are a common good from which we can steal. And plagiarism is defined at the time as « the same conceptions clothed in the same words » (Blackstone).
Colin Burrow stresses the necessity to view the legal arguments as the consequence of literary debates, as emerging from language, rather than the other way round. Legal arguments fed on literary properties started in 1710 (copyright statute of Queen Anne), carried on into the mid-18th century when debates about this act took place, culminating in Donaldson vs Becket in 1774 (a ruling by the House of Lords that held that copyright was a creation of statute and could be limited in its duration rather than be perpetual). Further, the Lockean argument played a significant role in late 18th century arguments (including Catharine Macaulay’s Modest Plea for the Property of Copyright of 1774).
Romantic creativity can further be seen as the occasion for continuing debates about literary productions. Debates about imitation and copyright suggest that debates lead to other debates, ideas of creativity growing from the confusion between arguments.
Hannah Williams offered a presentation that dealt with the case study of Le Brun’s rivalry with Mignard, two artists who are often seen as the main exponents of the querelle du dessin et du coloris. The visual dynamic of the conflict shows that it did not end with the victory of Mignard at the death of Le Brun, but that arguments about portraits and self-portraits could fuel that rivalry, even after the death of one, or both, protagonists. Mignard’s monumental self-portrait, which borrows from Largillière’s portrait of Le Brun, implies a rhetoric of rivalry, and of similarity and comparison. Mignard, in his self-portrait, acknowledges Le Brun’s mastery but only to have the final word. Spatialised conflicts add a dimension to the rivalry. Indeed, the hanging of the two portraits in the Académie in 1712, in the same room, at an angle, invited comparison on the part of the beholder and suggested a possible re-enactment of the quarrel (similar points can be made about busts and prints in other parts of the Académie). The question finally is to assess what this rivalry meant to the Academy. Rigaud’s double portrait of Mignard and Le Brun, when both men had been dead for 30 years, can be seen as an allegory more than a portrait, a valorisation of the debate between dessin and coloris, rather than an insistence on the outcome. On the other hand, the two lives of Le Brun and Mignard by Desportes and by Caylus suggest on the contrary that the ills of bitter rivalry should be heeded.
À travers l’étude de la parole polémique de Calvin dans son libelle contre le cercle d’évangéliques spirituels qui entoure Marguerite de Navarre (Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituelz, 1545), Luce Albert étudie l’habileté rhétorique avec laquelle le théologien de Genève épure la Réforme en mettant à distance des imposteurs, « libertins », qui pourraient lui être amalgamés. Attirés dans leur parcours spirituel par la Réforme, ils n’ont pas franchi le pas et n’ont pas suivi Calvin ; dès lors ils représentaient pour lui une menace dissidente. En dénonçant nommément Antoine Pocque et Thierry Quintin, en les inscrivant dans la lignée ininterrompue des hérétiques qui se dresse contre la vraie Église depuis ses origines, Calvin reprend une rhétorique catholique pour mieux désigner – déterminer – son adversaire et le livrer en pâture au public. Ce faisant, il assoit sa propre autorité et celle de la jeune Église réformée qu’il dirige : en décrivant ce qui n’est pas la Réforme, il précise ce qu’elle est et forge une orthodoxie proprement calviniste. Les sectes et les hérésies permettent aussi à la vérité de se manifester dans toute sa lumière, et, dans cette conviction, Calvin suit la pensée paulinienne. L’attaque du théologien relève alors, en ces moments décisifs pour l’existence de l’Église réformée, de la « nécessité agonistique ». En fustigeant les déviants, Calvin s’adresse également aux tièdes, qui mettent en péril leur conscience et le parti même, en se compromettant avec les catholiques. Parmi ces tièdes, il inclut tacitement – mais de façon suffisamment criante néanmoins pour que la sœur de François Ier le comprenne – Marguerite de Navarre elle-même : rien n’arrête le polémiste qui combat pour le Christ, sûr de son bon droit.
La polémique permet ainsi à Calvin de préciser ses dogmes. Il invente la figure du libertin, qui aura une longue vie, et trouve son hérétique pour créer son orthodoxie.
Laurence Devillairs voit en Descartes, fondamentalement, un polémiste. Le « Je pense donc je suis » est un énoncé à forte charge polémique. À partir du cogito, le Discours de la méthode rompt avec le style contemporain d’exposition du savoir, hérité de Montaigne, pour devenir, par sa forme même, une critique de la culture de son temps. Le Discours de la méthode s’apparente d’abord à une imitation de Montaigne, c’est-à-dire à une conversation où il est plus question de langue que de pensée et où Descartes s’apparente à un sceptique de la Renaissance. Au fil du Discours, le style se modifie : la conversation cède à la déduction, et les joies de l’érudition disparaissent en même temps que s’élabore l’impératif de clarté et de distinction. La méthode cartésienne est d’abord celle d’une rupture avec la curiosité érudite.
La polémique est beaucoup plus présente encore dans Les Méditations. Descartes y systématise la portée critique de sa philosophie, qui consiste à avancer par la réfutation de positions antérieures ainsi que par objections et par réponses. Contrairement à ce qu’il dit, Descartes n’a fait qu’écrire des disputes et des questions, déterminant une utilisation nouvelle du langage.
La bêtise prend selon lui la forme de l’érudition et de l’intellectualisme qui s’éloignent du sens commun et conduisent à soumettre Dieu à la logique humaine. Descartes se revendique quant à lui de Socrate et de sa philosophie fondée sur le bon sens.
C’est au sein d’une opposition aux traités aristotélo-thomistes de l’âme que se comprend l’énoncé du cogito, qui est le résultat de querelles remontant au XIVe siècle et concernant la question de l’évidence propre aux actes internes de pensée. Ainsi, Descartes serait davantage le dernier théoricien scolastique que le fondateur de la modernité.
Stuart Gillespie’s paper revisited « a low down, Grub Street quarrel » concerning the publication of rival translations of Homer’s Iliad in 1715 London, by a 27-year-old Alexander Pope (a young Catholic, with no university education) and the trained classicist Thomas Tickle, the latter supported by the powerful Joseph Addison. As knowledge of plans for these rival translations grew, pamphlets began to appear, ridiculing the pretensions of the young Hackney scribbler, and often making personal attacks, which mocked Pope’s greed, arrogance and physical stature. The close proximity in which the two versions were published forced a very public comparison, and Addison and his supporters wrote in support of Tickle’s, effort, published just a few days after Pope’s. But just three days after Tickle’s Book I appeared, Pope’s publisher wrote to him with the news that it was already being publically condemned. This clear victory notwithstanding, however, the quarrel continued : Addison continued to provide vehement support for Tickle, to the extent that some people were convinced he had written the translation himself.
Gillespie suggests this quarrel was factional, rather than artistic. Pope planned various retaliatory tactics, including a plan to publish his translation alongside Tickle’s and two other recent efforts, and a plan to publish a severe critique of Tickle’s work. He highlighted how the comparison between different translations was particularly fertile ground for quarrelling and cunning discursive tactics, such as the incorporation of previously successful versions. However, he further argued that this quarrel, though it has long been read as a fight between Pope and Tickle, was in fact really located elsewhere. Pope never attacked Tickle publically in pamphlets, and Tickle himself wrote a preface that stated he had never intended to compete with Pope. Instead, said Gillespie, this was also partly a personal quarrel between Pope and Addison. In the end Pope seemed to win here too : his portrait of Addison as Atticus, not printed until after his death, dates to this time, and it appears that he sent an early sketch to its subject around the time of the Iliad controversy. Gillespie suggests that the letter with which this sketch was sent, now lost, may have contained a sort of literary threat : Pope demonstrating what he had written so far, and displaying the power he had to alter this sketch according to how Addison reacted. There is no proof of this, but Addison is reported to have dropped his resentment and even compliments Pope, in a letter that Tickle himself printed in his collection of Addison’s works after his death. If this is the case, then Pope’s witty pen had an awful lot of power, which was acknowledged by his contemporaries.
The repercussions of the publication of Pamela were, suggested Sylvie Kleiman-Lafon, worthy of the title of « affair » : the explosion of responses, continuations and parodies are testament to the creativity engendered by this quarrel, which struck at the very heart of novel-writing. Published anonymously in 1740, Pamela was explicit about its apparently didactic nature, and its enormous success was accompanied by merchandising that was described by Richardson’s opponents as a form of literary prostitution. But it was the moral aspect of the novel that was most vehemently debated. Kleiman-Lafon argues that the quarrel was fuelled more by literary creation than straightforward pamphlets. Fielding’s Shamela set the tone by painting the servant girl as a wily seductress, whose naivety was pure creation, whilst James Parry’s The True Anti-Pamela reversed the plot, with a rich Pamela leading on a poor man. One facet of the criticism focused on the hidden sexual power of Richardson’s apparently chaste prose, with the work in question (Pamela censured) taking advantage of the chance to describe this titillating content to increase its own sales.
The Pamelist proponents of Richardson’s work also produced their own versions or sequels, whilst the book was also adapted for the stage : within a few years it was almost a literary genre in itself. In France too there was a similarly split reaction : whilst the book was fashionable, French critics attacked the lack of realism they saw in the contrast between Pamela’s alleged simplicity, and the complexity of her language : it was social mis-match that most offended them, and she was seen as having no merit in her own right, but being attractive to her seducer merely because of the benefits she had derived from her worth benefactress. There was also a sense that she would best have been represented as triumphing over her own depravity, and repenting. Influenced by these two strands of thought, different European adaptations changed the endings : La Chaussée’s version allows social convention to be undermined because Pamela’s submission to her Master is a result of the emotion induced by his fainting, whilst in Italy, Goldoni has her revealed as a social equal to her seducer, thus restoring social bienséance. The tale was still causing controversy in France at the end of the century: under the revolution, Pamela or la virtue condamnée was condemned as counter-revolutionary, leading to an 11-month closure for the Comédie-Française.
Kleiman-Lafon’s exposition highlights the constant conflation between Pamela as character and Pamela as novel : Pamela as a faux-naïve seductress was often equated to Richardson as a concealed pornographer, whilst the power of her words and writing to shape or contradict her character was continually interrogated, in a very novel response to a fictional heroine : thus the process of literary creation was always at the heart of responses to Richardson.
Le genre hagiographique – la Vie de saint – se situe au carrefour des genres narratif et biographique. Il s’agit d’une biographie orientée à vocation édifiante et idéologiquement marquée, et d’un texte apologétique militant, mêlant les styles épidictique, judiciaire et délibératif, destiné à convertir le lecteur et à le convaincre de la sainteté d’un personnage pour mieux étoffer un dossier de canonisation. En principe, la Vie de saint n’est pas un lieu de polémique, même si ces textes s’inscrivent nécssairement à différents moments de l’histoire de l’Église et des combats qu’elle mène.
L’histoire de Jeanne de Chantal (1572-1641), exploré par Marion de Lencquesaing, offre un cas permettant d’interroger de près les rapports entre hagiographie et polémique, au travers de dix Vies dont la sainte a fait l’objet entre 1642 (par Françoise-Madeleine de Chaugy) et 1912 (par Henri Brémond). Les variations entre ces récits permettent de révéler des tensions entre les différents hagiographes et d’interroger ce qui peut être qualifié de cheminement polémique, à l’échelle d’un parcours sur plusieurs siècles.
Pour avoir vécu dans le contexte des guerres de religion et de la lutte contre les Protestants, Jeanne de Chantal n’incarne pas moins une figure parfaitement orthodoxe et a-polémique du point de vue de l’Église. Les textes de pré-canonisation (jusqu’à la Vie de Marsollier en 1717) insistent là-dessus. La polémique ne se situe donc pas du côté de l’histoire de Jeanne de Chantal mais du côté des pratiques d’écriture, notamment au cours du jeu de variations induit par les différentes réécritures de sa Vie, qui révèle des tensions qui peuvent virer à l’affrontement entre les différents biographes, notamment entre les récits de Jacques Marsollier (La Vie de la vénérable mère de Chantal, 1717), d’Émile Bougaud (Histoire de sainte Chantal et des origines de la vistation, 1861) et d’Henri Brémond (Sainte Chantal, 1912). L’appareil paratextuel (préfaces et notes, notamment) ainsi que le système citationnel dans le corps du texte deviennent le lieu privilégié de la polémique, où chaque nouvel hagiographe s’attache à disqualifier le texte de son prédécesseur : si Brémond s’attache à réhabiliter la première Vie de Jeanne de Chantal écrite au XVIIe siècle, c’est pour mieux disqualifier le texte de son prédécesseur Brémond qui lui même disqualifiait la Vie écrite par Marsollier. Brémond s’attache également à rejeter certains motifs dans sa version de la Vie de Jeanne de Chantal, notamment le topos de la sainte déjà sainte dès l’enfance – motif hérité de la tradition, et que Brémond refuse car il va contre le mouvement de la grâce et contre une nouvelle économie narrative qu’il tente de mettre en place. Le fait que Brémond s’attaque à un tel lieu commun de la tradition hagiographie explique peut-être la mise à l’index de sa Vie de Jeanne de Chantal en 1913.
Marion de Lencquesaing montre ainsi que la polémique entre hagiographes semble devenir une possible condition de renouvellement du récit de vie, qui passe par la polémique sur la manière de faire un récit – sur la question du renouveau du récit hagiographique.
Portalis (1746-1807) est principalement resté dans l’histoire des idées et de la pensée juridique pour deux textes majeurs, le Concordat (1801) et le Code civil (1804). Il n’a que 16 ans lorsqu’il publie ses Observations sur un ouvrage intitulé Émile (1763) et Des Préjugés (1762 ?). Ces textes ont été commentés notamment par Sainte-Beuve qui fait de Portalis un parangon de la modération, au sens où il voit en lui un homme éloigné de toute position extrême (cette acception contraste avec le sens du mot à la fin du XVIIIe siècle, où la modération est une position politique qui consiste à défendre un pouvoir exécutif fort). Ces textes de jeunesse de Portalis, abordés par Anne Simonin dans cette communication, qui témoignent de l’aisance de celui qui entrera bientôt au barreau d’Aix où il sera considéré comme un prodige, visent notamment à attirer l’attention en critiquant Rousseau. Cette stratégie réussit puisque ces textes provoquent une petite querelle : Portalis est accusé de plagiat dans une lettre (texte perdu), et l’accusation est suffisamment forte pour provoquer une réponse justificative réfutant cette accusation (19 pages, publiées en 1764). Qui produit cette réponse ? Ce texte peut-il être de Portalis ? Si oui, pourquoi se serait-il ainsi fait le querelleur de lui-même ? Peut-être parce que Malebranche, son maître à penser et directeur de conscience, a dénigré les mauvais citeurs dans le contexte de la querelle des jansénistes contre Montaigne. Si l’on considère que l’accusation portant sur Portalis le fait tomber indirectement sous l’accusation de Malebranche ainsi que du milieu qu’il aspire à intégrer, on peut expliquer, selon Anne Simonin, qu’il prenne la peine de se justifier par une réponse circonstanciée. Et comment comprendre ces plagiats auxquels, comme le note Sainte-Breuve, Portalis se prête si souvent ? Il faut s’interroger sur les usages du plagiat aux sources du droit : non seulement le plagiat a une fonction oratoire (il produit de la stabilité dans les matières qui intéressent Portalis), mais il permet encore ce qui pourrait être qualifié d’ « innovation insensible », c’est-à-dire qu’il permet une innovation simple et douce reposant sur le sens commun, les redites et la répétition pour introduire des formules nouvelles.
Un tel usage du plagiat s’avère essentiel dans l’article 213 du Code civil (selon lequel « le mari doit protection à sa femme, et la femme obéissance à son mari »). Pour introduire cet article, Portalis présente un discours largement emprunté à Jean-Jacques Rousseau. Cette langue plagiaire qu’il met au point est la grammaire d’une langue de la modération et devient le moyen par lequel introduire des innovations dans le droit français. Si Portalis parvient à élaborer un Code civil, c’est précisément grâce à la technique du plagiat : il répète du déjà vu et du déjà entendu, ce qui est une manière de naturaliser l’innovation. La grammaire plagiaire de Portalis lui permet d’exprimer une position mixte : il fait du neuf avec de l’ancien et de l’ancien avec du neuf, et énonce une règle de droit (qui reste un règle formelle) sous la forme d’aphorismes. Portalis pose ainsi la question de la légalité et de la légitimité de la règle de droit en s’appuyant sur cette fonction rhétorique et politique du plagiat. Anne Simonin montre ainsi que le plagiat, parce qu’il repose sur du sens commun et des règles naturelles en ce qu’elles sont déjà admises et ruminées par l’opinion publique, permet la création du Code civil.
Cette querelle fait apparaître la fonction politique du plagiat ainsi que l’usage de la langue aux sources du droit.
La communication de Theodora Psychoyou propose une immersion dans le discours sur la musique au XVIIe siècle, au travers de deux grands axes de comparaison en matière de musique : entre Anciens et Modernes d’une part, entre Théoriciens et Praticiens d’autre part.
À la fin du XVIIe siècle, la mise en crise du modèle de la musique des Anciens se joue sur le terrain de la théorie, avec la fragilisation du principe de l’universalité des proportions (rapporté par Pythagore) et la valorisation nouvelle de l’expérience sensible qui met en difficulté le principe de l’harmonie universelle et fait de la musique la plus expérimentale des sciences. On observe alors une évolution de la relation hiérarchisée entre théorie et pratique, et la création d’une superposition entre Théoricien et Ancien d’une part, Praticien et Moderne d’autre part. Au cours de cette évolution, se cristallisent des postures polémiques parfois violentes.
Jusqu’au début du XVIIe siècle, en effet, les activités de la théorie et de la pratique sont hiérarchisées de façon consensuelle : le topos selon lesquel la théorie serait supérieur à la pratique est communément accepté. La critique du modèle théorique ancien se développe au cours du XVIIe siècle, créant un schisme disciplinaire – une nouvelle distinction entre musique et acoustique (cf. les préambules du Mémoire de Joseph Sauveur en 1700 et du Compendium musicae de Descartes).
Les dissonances entre Théoriciens et Praticiens au XVIIe siècle résultent de la convergence de plusieurs éléments de fond ou de contexte : la musique est considérée comme inférieure aux mathématiques par la théorie spéculative ; la science moderne autorise l’interprétation rationnelle de phénomènes pensés jusque là comme « magiques » (telles que les propriétés thaumaturgiques de la musique) ; on découvre que le principe antique de l’universalité des proportions appliqué par analogie aux différents objets ne fonctionne pas du point de vue de la matérialité des objets (cf. Mersenne, Traité de l’harmonie universelle, 1627 ; Jacques de Goüy dans la « Préface » de l’Air à quatre parties sur des sujets spirituels, 1650). La distance prise par les Praticiens connaît de nombreuses manifestations. Dans son Entretien des musiciens (1643), par exemple, Annibal Gantez s’en prend à ses confrères Mersenne et Du Cousu, trop éloignés de la pratique. De même, l’instrumentiste Jean Denis s’attaque aux mathématiciens cherchant des accords sur un monocorde sans le secours de l’oreille.
À la fin du XVIIe siècle, personne ne prend vraiment parti pour les Anciens dans la querelle, puisque l’absence de monuments musicaux concrets réduit à peu de choses les arguments en leur faveur. L’opposition entre Anciens et Modernes glisse ainsi vers l’opposition entre Théoriciens et Praticiens. Les Anciens sont des musiciens qui ne pratiquent pas la musique, particulièrement les Mathématiciens. Etienne Loulié, par exemple, est volontiers polémique : son attitude est caractéristique de celle du musicien se cherchant une légitimité théorique. La hiérarchisation médiévale musicus/cantor hante l’esprit des nouveaux théoriciens qui se veulent musiciens. On remarquera qu’au XVIIIe siècle, à l’instar de Rameau, les Praticiens seront de plus en plus des Théoriciens.
Le propos de cette communication s’inscrit dans le contexte d’une querelle célèbre opposant François Raguenet à Jean-Laurent Le Cerf de la Viéville de Freneuse. Celle-ci est provoquée par la publication, en 1702, du Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique les opéra de Raguenet ; Le Cerf répond en 1704 (Comparaison de la musique italienne et de la musique française) ; Raguenet rétorque en 1705 avec sa Défense du Parallèle ; et Le Cerf réplique une nouvelle fois en publiant une série de trois dialogues accompagnée d’une courte réponse à la Défense du Parallèle. Les disputes musicales du XVIIIe siècle épuiseront l’intérêt pour cette querelle, mais la Vie de Lully racontée par Le Cerf, qui tente de fonder l’identité de la musique de Lully en la rattachant à la personnalité de son créateur, perdure jusqu’à aujourd’hui. Le dispositif de cette querelle a ainsi pour effet de susciter un discours et une théorie de la musique lulliste, et de donner naissance à un mythe fondateur en la personne de Lully. Les cibles de Le Cerf sont la musique italienne (les musiciens français sont des Anciens par rapport aux italiens) et la modernité (représentée par les frères Perrault). Son champion est Lully, qu’il range du côté des Anciens et des qualités propres de la musique française. Raconter l’histoire de Lully – et créer ainsi une figure de créateur – s’insère dans le cadre d’un projet théorique où le caractère naturel de l’esthétique française, opposé à l’artifice italien, est central.
La Vie de Le Cerf met toujours en avant l’idée de simplicité. Le Cerf dépeint Lully comme un auteur inspiré et génial, que l’on voit écoutant et notant la déclamation de la Champmeslé pour se fixer sur ses tons (qui prévalent sur toute complexité harmonique). Le Cerf rapporte encore l’anecdote selon laquelle Lully, à cheval, aurait eu l’idée d’un air de violon dans lequel on sent le pas d’un cheval, l’idée principale étant que la musique de Lully imite la nature. Ainsi, le processus d’écriture de l’opéra chez Lully serait, selon Le Cerf, gouverné par le rapport au chant plutôt qu’aux règles techniques de la composition. La musique de Lully serait donc d’abord « un discours ».
En choisissant de peindre Lully par des anecdotes, avérées ou non, Le Cerf s’inscrit dans une topique, celle de la vie d’artiste, héritée de l’antiquité. Il revendique des récits qui peuvent prêter à caution, structurant par là même son projet polémique : il crée une figure plus familière, clef de lecture de son art (car pour comprendre un art, il faudrait comprendre l’homme qui l’a créé). Il défend ainsi l’idée que la musique de Lully, comme toute la musique française, peut être comprise de manière intuitive, sans passer par une étude approfondie.
Le Cerf déplace ainsi le discours sur l’art de la musique (Raguenet) vers la défense de la simplicité (loin de la sophistication de la cour) et l’utilisation de l’anecdote. Il place au cœur de sa théorie esthétique l’imaginaire de la langue française. La querelle de la musique italienne devient un moment d’élaboration d’une pensée de la musique française. On voit donc comment, issue d’une polémique, la Vie croise des phénomènes attestés pour en faire les indices d’une identité culturelle.
À partir de 1752, l’opéra italien n’est plus un objet absent de la scène parisienne ; il devient un objet réel de confrontation, dans la presse périodique, les cafés et les salons. L’opéra italien a ses propres codes : il se débarrasse des figures mythologiques propres à la dramaturgie de l’opéra français pour mettre en scène, avec une forme de réalisme, des personnages issus de tous les milieux sociaux ; il mise sur un comique de situation et de langage qui met en scène la matérialité des corps dans un théâtre qui n’est pas stylisé par le respect du décorum et de la bienséance ; il interroge la nature et les possibilités du comique musical, influençant jusqu’au genre français de l’opéra-comique qui évacue alors progressivement les parodies ainsi que le comique grivois des pièces à vaudeville.
1755-1756 est la grande saison parisienne des parodies-traduction de l’opéra italien, jouées à l’Académie royale de musique. Si cette pratique consiste à recycler des comédies italiennes préexistantes, elle relève surtout d’un véritable projet artistique, touchant à la possibilité de chanter en langue française sur de la musique italienne (ce qui démentent les propos de Rousseau dans la querelle sur la musique française en 1753). S’élabore un nouveau type de comique musical français qui suscite l’adhésion complète du public.
Si bien que la querelle des Bouffons entraîne des modifications profondes et durables dans la dramaturgie et le paysage opératiques français. L’opéra italien, qui fascine et interpelle, suscite dégoût et passion : cette forme dramatico-musicale devient le support d’une redéfinition du goût, où le bon goût « naturel » est opposé au bon goût « traditionnel », et le prétexte d’un débat sur l’opposition culturelle entre génie français et génie italien.
On distingue trois querelles du théâtre en France au XVIIe siècle, qui se déroulent respectivement dans les années 1630 (donnant lieu à la déclaration de Louis XIII), dans les années 1660 (autour du prince de Conti et de Molière) et dans les années 1690 (autour des figures du père Caffaro et de Bossuet). La première querelle, qui fait l’objet de la communication de François Lecercle, est la moins connue, et le rôle des dramaturges y est moins visible.
Quelles sont les caractéristiques de cette première querelle ? C’est une querelle diffuse, qui a une dimension très orale. Ses participants sont souvent des religieux. C’est une querelle internationale qui motive un vaste pannel d’arguments – moraux et religieux, mais aussi politiques, économiques et historiques. Elle trouve son ancrage dans un contexte bien spécifique. Sur le plan sociologique, les comédiens connaissent une certaine aisance, mais leur statut social réel entre en contradiction avec la réalité de leur statut juridique. Sur le plan politique, les comédiens font déjà l’objet d’un projet d’instrumentalisation politique promis à un brillant avenir. Sur le plan religieux, les compagnies sont à la merci des autorités religieuses locales, même si la papauté défend alors le théâtre.
Dans ce contexte, les dramaturges interviennent selon trois principales modalités. Tout d’abord, en faisant l’apologie explicite du théâtre (1) : c’est le cas de Scudéry dans sa Comédie des comédiens, avec la tirade de Blandimare (acte II). Ils livrent encore des apologies implicites du théâtre (2), créant des fictions démontrant les bénéfices du théâtre (apologia in fabula). Gougenot développe ainsi, dans sa Comédie des comédiens, un discours sur l’utilité sociale du théâtre, capable de résoudre les conflits : le théâtre est désigné comme le lieu où les passions s’apaisent et la condition de comédien apparaît comme une position sociale enviable. L’apologie du théâtre est parfois formulée de façon encore plus implicite (3), par exemple à la fin de l’acte II de la Comédie des comédiens de Gougenot, qui s’achève sur une conversation sur le théâtre où sont relayés tous les arguments violents contre le théâtre. Cette scène confirme l’importance de la polémique latente et démontre la possibilité des gens de théâtre à faire de la scène un lieu de débat : un lieu où argumenter et une instance didactique légitime contre les critiques l’Église. Il s’agit là d’une apologie subliminale qui ne peut s’énoncer explicitement.
Dans le contexte de la querelle du théâtre, la scène devient une plateforme qui permet aux gens de théâtre de s’exprimer et d’avancer des arguments subreptices.
In the medical community of eighteenth-century England, polemic was rife, as surgeons, physicians, apothecaries, barbers, quacks and midwives all strove to be set apart from one another, and attract the richest possible patients. With medical education not yet standardised, and theories constantly evolving, there was little consensus. The case studies in Sophie Vasset’s paper involves a range of evacuative treatments (purging, bleeding, emetics), which were based on the contentious circulatory model. The particular quarrels discussed, however, went beyond purely medical concerns to draw in questions of literary form and style.
The limewater quarrel of 1745 involved the death of Robert Walpole after a limewater treatment. John Ranby criticised James Jurin’s prescription and dosage, and an exchange of pamphlets ensued, which not only attacked the application of medical knowledge, but also the method of case writing, and the narrative style. Jurin criticised Ranby’s overuse of the word « rest », and his choice of adjectives such as « moistish », implying that an able physician required technical precision and a mastery of literary style. There was a political context too, for Ranby, a surgeon, would have benefitted from the recent Act making the distinction between barbers and surgeons, which constituted a distinct threat to the status of physicians like Jurin.
The following year, a quarrel over blood letting concerned the death of the man who could have succeeded Walpole as Prime Minister, Sir Thomas Winnington. His rheumatic fever rose after a blood letting, but the response of Thomas Thompson, his physician, was to prescribe further blood letting, after which he expired. Anonymous pamphlets accused Thompson of weakening the patient, whilst William Douglas explicitly described this as murder. But there was a literary element too, with Tobias Smollet’s defence (Thomosonus Redivivus) attacking Douglas’ style, and his own criticism of Thompson’s style. Douglas’ rebuttal continued to focus on the quality of his opponents’ writing, implying that this was more important than the medical content of their arguments.
The final quarrel discussed, of 1719, was over emetics, and did not concern a specific case, but was more theoretical. John Woodward’s State of Physick, which argued that everything depended on the stomach, was criticised for being over-simplistic. The responses were largely farcical and scatological, and Woodward attempted a serious stance in retaliation. Theatrical and operatic productions mocking medical consultations according to Woodward’s theories were accompanied by parodic dissection reports, thereby playing on different medical modes of writing.
Vasset underlines how all three quarrels gave their participants credit for medical knowledge and celebrity patients, but in fact paid just as much attention to how such knowledge was conveyed, with literary skills just as valuable. She suggests that medical literary genres therefore merit further exploration. The discussion covered the comparison between scatological imagery in England and in France, the specificities of quarrels over dosage, the contemporary search for a specific methodology for case reporting, and the porosity between real and parodic treatises, with elements of the latter being incorporated into the former in re-editions.
Quelle sens accorder à la notion de génie dès lors que l’on aborde les processus de création et d’innovation en termes de querelles et de disputes ? Cette notion, qui hante les discours, n’est pas consensuelle. Si le génie peut renvoyer au lieu commun de l’invididu créateur, c’est aussi une notion dont l’apparition dans la langue française est problématique.
Jean-Alexandre Perras retient l’occurrence du mot génie dans l’épisode de l’écolier limousin du Pantagruel de Rabelais pour fonder son analyse. Cet écolier s’exprime dans un latin macaronique pédant, prétendant ainsi enrichir la langue française. Une telle attitude, qui selon lui relève du « génie », est très mal reçue par Pantagruel, qui renvoie l’écolier à son origine géographique limousine et l’accuse d’imposer à la langue des mots mal digérés qu’il vomit dans son discours. C’est donc autour de cette conception du génie que se cristallise une querelle entre innovation et usage qui engage les liens entre l’individu créateur et la communauté, et invite à une réflexion sur la possibilité de faire évoluer individuellement une langue. Les deux points de vue (l’attitude de l’écolier consiste-t-elle à contrefaire la langue latine, ou au contraire à améliorer la langue française – locupleter – ?) sont irréconciliables, dans la mesure où l’écolier prend à tort la langue pour son bien propre, se plaçant à contre-courant de toutes les recommandations de l’époque sur la prudence. Qu’est-ce qui relève du détournement ? Qu’est-ce qui relève au contraire de l’innovation ? Seul l’usage permet de trancher, mais l’écolier s’autorise lui-même à changer l’usage. Ce qui sert à autoriser l’innovation est en même temps ce qui fait l’objet du problème : la question du génie.
Le lieu commun du génie créateur apparaît ainsi chez Rabelais dans un contexte où il est dénué de valeur positive. Le problème soulevé par ce texte est celui du bon usage et de l’innovation des mots, qui par ailleurs fait l’objet de nombreuses querelles et disputes. La naissance du génie est donc en réalité une fausse couche, au sein d’une dispute portant sur l’innovation lexicale.
Using a quotation from Swift, Paddy Bullard proceeds to examine the relationship between quarrels and modernity : « Eloquence smooth and cutting, is like a Razor whetted with Oil » (Thoughts on Various Objects). Specifically, Paddy Bullard examines two related questions : first, the quarrelling subject, or how Swift conceptualised his own methods of disputation, and in particular the figural language he used. Second, the question of modernity and Swift’s understanding of modernity. The argument is that there is a connection of some kind between Swift’s thoughts about his invective method and the ways in which he thinks of modernity. Swift’s admiration for La Rochefoucauld transpires in various writings, and has to be kept in mind, in this respect.
Examining Swift’s maxim, Paddy Bullard shows that the power of the maxim lies in the pure latency of the razor, which is in fact not doing anything. The conceit rests on the fact that the sharpness of the razor is in proportion to the total flatness. It is reinforced by a pun : whet = sharpen ; wet = lubricate. And echoes Deuteronomy 6:7 (where the meaning of « teach them diligently » is expanded by Locke as « whet »).
The image of modernity in A Tale of Tub is such that modernity seems to offer a choice from which you cannot escape – you are either foolishly contented with surfaces or compelled by reason to uncover hidden, nasty truths. Cf. « A Digression Concerning Madness », p. 111-112. Hence, the dissecting knife uncovers banality, an identity which surfaces several times in Swift — the fictional Lectures upon a Dissection of Human Nature, for instance. It also works alternately on surfaces and depths (cf. a woman flay’d ; carcass of a Beau to be stript – and dissected).
Paddy Bullard then underlines the correspondence with the art of dissection (evolution of tools, with shear steel brought in in 1600, barbers being relegated to sharpening of tools, etc.). This brings to mind versions of satire as sharp : « the fineness of a stroak that separates the head from the body and leaves it standing in its place » (Dryden).
In the same spirit, Swift insists on control of play and incision : « if they should make use of a sharp Penknife, the Sharpness would make it go often out of the Crease, and disfigure the Paper » (Thoughts on Various Objects 1745). Cf. the voice of a modern in A Tale of a Tub: « it is with Wits as with Razors, which are never so apt to cut those they are employ’d on, as when they have lost their Edge » (p. 30).
Modernity is therefore both absolute surface and mangled interior, thereby suggesting the blunt rectitude of the moderns. But sharpness does not necessarily correspond to the ancients.
Paddy Bullard concludes on the idea that the dispute is itself a medium rather than a heuristic tool : the dispute is not the whole world and we need to stand aside. Swift, who can be considered as the leader of the ancients in Britain, was himself sceptical of the medium of the quarrel.
La conclusion d’Alain Viala formule plusieurs remarques pour la poursuite de l’étude sur les querelles.
Tout d’abord, ce colloque a permis d’interroger deux phénomènes au sujet desquels AGON n’a pas encore beaucoup travaillé jusqu’à ce jour : la question de la durée des querelles (gestation souvent longue et retombées qui durent) ; et celle de la mise en place de modalités de dispute qui tendent à s’instituer de façon transversale – des modes d’écritures littéraires apparaissent à l’évidence dans les disputes, quel que soit le domaine dont elles relèvent. Cette longue durée fait surgir une série d’interrogations sur l’approche des querelles comme medium.
Par ailleurs, ce qui a été peu évoqué jusqu’à présent et ce qu’a suggéré avec force la création récente du spectacle Dream on ! soutenu par le programme AGON, c’est que les conflits sont souvent violents et qu’ils font mal (les querelles se soldent souvent par la mort, et se règlent à coups d’épée ou de bâton). Ce que suggère également ce spectacle, c’est que peut-être un procès peut permettre, au moins en rêve, de liquider par des mots ce qui avait été vécu auparavant comme un affrontement violent : le rapport de force intellectuel peut fonctionner comme la médiation d’un autre rapport de force.
Si les querelles sont un medium, elles doivent permettre de mieux comprendre la création, considérée comme le fruit d’actions et de réactions prises dans des chaînes d’actions. Il importe donc moins, fondamentalement, d’expliquer la logique de telle ou telle dispute que de chercher à déceler ce qu’il y a au-delà. Par exemple dans le contexte de la querelle de La Princesse de Clèves : le sondage lancé par le périodique – la princesse a-t-elle eu ou non raison de dire la vérité à son mari ? – produit notamment cette réponse : c’est là l’affaire des casuistes et des directeurs de conscience. Autrement dit, la question soulevée par la querelle de la Princesse de Clèves porte moins sur la condition de la femme qu’elle ne révèle un questionnement d’ordre plus général : où est l’espace légitime de définition de la morale sexuelle et familiale ? Qui a le contrôle des codes de la famille ? De la même manière, il apparaît au sujet de Calvin et des libertins (cf. la communication de Luce Albert) qu’une querelle est souvent un indice, un révélateur permettant de redistribuer un espace, donc un pouvoir et un rapport de pouvoir au sein de cet espace. Le travail sur les querelle revient à s’interroger sur une logique culturelle entièrement fondée sur des rapport de force et sur des champs de force.