Université Paris-Sorbonne(Paris-IV) Agence Nationale de la Recherche
Séance 5 du 12/12/2011 (compte-rendu rédigé par Alexis Tadié)
Le professeur Ian Maclean, de l’université d’Oxford, présente un exposé portant sur la querelle des femmes en France entre 1615 et 1625. Il insiste sur le fait que le contenu de celle-ci n’est pas aussi intéressant que le contexte historique dans lequel elle se déroule, et l’utilisation des supports matériels. Les faits matériels de l’imprimerie permettent d’en rendre compte de façon plus intéressante.
En 1610, l’édition parisienne vit une crise car elle échappe à toute réglementation (en dépit de l’obligation de dépôt obligatoire du « privilège royal »). En 1618, les lettres patentes sont sollicitées par les marchands libraires. Une édition commerciale correspond environ à 1000 exemplaires, tandis qu’une édition à compte d’auteur représente un peu moins de volumes. Chaque volume est de 48 à 300 pages, et sa publication prend entre 1 et 5 semaines : c’est donc ainsi qu’on peut saisir le rythme de la querelle.
D’autre part, à Paris, il existe une opposition entre imprimeurs et libraires, qui correspond à deux camps topographiques : le Palais et le quartier de l’université d’une part ; l’île de la Cité d’autre part. Sur la Montagne Sainte-Geneviève et sur la rue Saint-Jacques, les libraires vendent des livres religieux.
La querelle et son déroulement sont marqués par des compositions nouvelles ou par des réimpressions, à Paris ou en Province. La publication du sieur de Fierville survient ainsi à Caen, à ses propres frais. Son existence est attestée par la réfutation de Baudot (2). Un marchand-libraire imprime ensuite un texte anonyme (3) qui est réfuté en (4), et prétend révéler l’auteur de (3) comme Jacques Olivier. Les deux ripostes (5) et (6) obtiennent le privilège le même jour. Les publications sont ensuite suivies de réimpressions de textes plus anciens (par exemple (11)). En 1619, une nouvelle édition de l’Alphabet voit le jour (13), ce qui veut dire que 5000 exemplaires de l’Alphabet de Trousset et 2000 exemplaires de Fierville ont été écoulés pendant une dizaine d’années. La capitale suffit à elle seule à écouler tous les exemplaires.
Plusieurs points doivent être notés dans la forme des publications. D’abord l’utilisation de différents genres. Fierville a recours à l’idée de « compendium » qui s’appuie sur les trois modes : raisonnement, exemple, autorité. Ensuite, on observe l’usage du discours pastoral homélisant, par Trousset, avec des exemples empruntés à Fierville par exemple. De plus le texte-miroir ou la réfutation calque les réponses sur la structure originale (L’Escale) ou répond point par point. Enfin les histoires tragiques s’approprient parfois le contenu des canards (la même anecdote peut être traitée sur plusieurs tons).
Le contexte de vente et de lecture doit prendre en compte l’instabilité politique et religieuse des années 1610. Les luttes religieuses et la vie de la société à Paris sont des éléments importants dans le déroulement de la querelle des femmes. Les textes anti-féministes sont ainsi opposés aux « mondaines » de la capitale. Les luttes religieuses au sein du catholicisme jouent aussi un rôle (les prêtres séculiers s’efforcent de garder la supériorité sur les ordres réguliers, ainsi que sur les Jésuites, les réguliers font cause commune contre séculiers, mais se déchirent entre eux, etc.).
Les participants, à tout le moins ceux qui utilisent leur vrai nom, sont avant tout des avocats (habitués des harangues et des trois modes d’argumentation). On peut cependant se demander pourquoi ces auteurs n’écrivent qu’un seul ouvrage. Le sujet exige-t-il un seul texte ?
Le point de vue des imprimeurs et des éditeurs est ici essentiel parce que ce sont eux qui financent les éditions, et plusieurs éditeurs en vue, comme Jean Petit-Pas, apparaissent ici.
Les acheteurs et lecteurs appartiennent à toutes les couches sociales (les « canards » sont en particulier très goûtés des élites), mais l’identification d’acheteurs historiques est ici malaisée.
En conclusion, le marché vibrant des livres à Paris est régenté par deux camps, qui enfreignent tous les deux les mêmes règlements qu’ils s’évertuent à imposer à leur propre communauté de marchands libraires, d’imprimeurs, et de colporteurs. Les genres littéraires dont se compose la querelle des femmes n’attirent pas les meilleurs esprits de la capitale, et ne sont pas tout à fait pris au sérieux par les lecteurs. La querelle témoigne, il est vrai, des luttes religieuses entre réguliers et séculiers, de la présence à Paris d’une bande de joyeux lurons, de certains débats politiques contemporains, mais elle n’en est pas un élément dynamique, ce qui va changer trente ans plus tard sous la régence d’Anne d’Autriche. La comparaison avec l’Angleterre montre l’importance du marché des livres à Paris, et la domination du genre théâtral en Angleterre. Le professeur Maclean termine en citant trois textes antiféministes de la querelle : celle de l’Alphabet de Trousset : « Quoy qu’il en soit, il est certain que Dieu a creees [les femmes] pour l’ornement de l’humaine espece, pour soulager nostre humanité, pour addoucir les miseres de la vie humaine, pour le contentement des hommes, et pour ayder à peupler le Paradis, auquel nous conduise le Père , le Fils et le Sainct Esprit, Ainsi soit-il. » Ensuite, celle de la Cacogynie de Fierville, moins sententieuse, mais plus spirituelle : « bon soir, et bonne nuit. » Et enfin la conclusion du Friant dessert de Trousset, publié en 1619, qui nous rappelle sa vocation sacerdotale : « ite in pace ».
Bibliographie : « La Querelle des femmes en France et en Angleterre à partir de 1617 »
En France :
1. Sieur de Fierville [de l’Aigle] alias Ferville, Cacogynie ou méchanceté des femmes, Caen, 1617, in-12 [Dubuisson-Aubenay]
2. François-Nicolas Baudot, sieur d’Aubuisson et d’Aubenay, Traité de la perfection des femmes comparée à celle des hommes MS [contre Fierville] daté septembre 1617
3. Anon., Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, dedié à la plus mauvaise du monde, Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, 360 p. Priv. 30.8.1617 (en faveur de Petit-Pas)
4. « Le sieur Vigoureux, Capitaine du Chasteau de Brye Comte Robert » [ ?Josué Barbier, avocat du Conseil], La Defense des femmes, contre l’alphabet de leur pretendue malice et imperfection, Paris, Pierre Chevalier, 1617, in-12, 16+210+16 p, Priv. 3 10.1617 (en faveur de ??)
5. « Jacques Olivier, Licencier aux Loix, et en Droict Canon, auteur de l’Alphabet […] » [Alexis Trousset, Cordelier], Responce aux impertinences de l’aposté Capitaine Vigoureux, sur la defense des femmes, Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, 252+12p. Priv. 27.10.1617 (en faveur de Petit-Pas)
6. «Le Sieur de la Bruyère, gentil-homme bearnois » [Alexis Trousset, Cordelier] Replique à l’antimalice ou defense des femmes du sieur Vigoureux […], Paris, Jean Petit-Pas, 1617, in-12, [316 p] Priv 27.10.1617 (en faveur de Petit-Pas)
7. *Fierville, La mechanceté des femmes, Paris, Pierre Rocolet, 1618, in-12, 189+7 p., « iouxte la copie imprimee à Caen »
8. *Trousset, Alphabet […], Paris, Jean Petit-Pas, 1617-9, in-12 [deuxième impression : voir l’édition de 1619]
9. [Maître] Abraham Bernier Champenois, Apologie contre le livre intitulé Alphabeth de la meschanceté des femmes. Par laquelle l’on void l’excellence de leurs vertus et perfections, Paris, Joseph Bouillerot, 1618, in-12, 14+ 55 p. Achevé d’imprimer 11 5 1618
10. [Adam Scaliger] Le Chevalier de l’Escale, Le Champion des femmes, qui soutient qu’elles sont plus nobles, plus parfaites et en tout plus vertueuses que les hommes, contre un certain misogynes, anonyme auteur et inventeur de l’imperfection et malice des femmes, Paris, veuve Matthieu Guillemot, 1618, in-12, 191-3 p., Priv. 1506. 1618 (en faveur de Guillemot)
11. *L’Excellence des femmes avec leur response à l’autheur de l’Alphabet. Accompagnee d’un docte et subtil discours de la feu reyne Marguerite, envoyé sur le mesme suiet à l’autheur des secrets moraux [François Loryot, S.J, 1614], Paris, Pierre Passy, 1618, in-8, 15 p.
12. *Fierville, La mechanceté des femmes, Paris, Joseph Guerreau, 1619, in-12, 189+7 p., « iouxte la copie imprimee à Caen »
13. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« troisiesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1619, in-12, 431 + 24 p.
14. *Etienne Pasquier, Les Œuvres meslees, tome troisiesme, [éd. André Duchesne], Paris, Iean Petit-Pas, 1619, in- 8 Priv. 16 6 1619 (en faveur de Petit-Pas et Laurent Sonnius) [contient Le Monophile]
15. *[Nicole Estienne, Mme Liébaut] Discours pitoyable, des lamentations de la femme mariee [= Les miseres de la femme mariee], Lyon, Thomas Arnaud d’Armosin, 1619, in-4, 8 p.
16. *Le purgatoire des hommes mariez, avec les peines et tourmentz qu’ils endurent incessamment au subject de la malice et mechanceté des femmes, Paris, iouxte la coppie imprimee à Lyon par François Paget, 1619, in-8, 8 p.
17. *Thomas Arnaud d’Armosin [=Marie de Romieu], Discours admirable de l’excellence des femmes, s.l. [Lyon, Thomas Arnaud d’Armosin], 1619, in-4, 8 p. « avec permission »
18. Le Sieur de Gaillar, Le bouclier des femmes contre les impostures et les calomnies des mesdisans de leur sexe, Paris, Jacques Bessin, 1621, in-8, 16 p.
19. Louys [Le] Bermen, sieur de la Martinière, Le bouclier des dames, contenant toutes leurs belles perfections, Rouen, Jacques Besongne, 1621, in-12, 21+3+401+3 p.
20. Cristoforo Bronzini, L’Advocat des femmes ou de leur fidelité et constance. Dialogue contre les medisans de ce temps. Traduit d’italien en françois, par [le sieur de l’Escale]. Paris, Toussainct du Bray, 1622, in-12, 140 p. L’original fut publié en 1622.
21. Marie le Jars de Gournay, Egalité des hommes et des femmes. A la Reyne, s.l, s.n, 1622, in-8, 28p.
22. La Response des dames et bourgeoises de Paris au caquet de l’accouchée 1622 (parodie de L’Egalité de Marie de Gournay), Paris « chez l’imprimeur de la ville, à l’enseigne de trois pucelles », 1622, in-8, 16 p.
23. Les singeries des femmes de ce temps decouvertes, et particulierement d’aucunes bourgeoises de Paris, s.l., s.n, 1623, in-8, 16 p.
24. « L. S. R. », Tableau historique des ruses et subtilitez des femmes. Où sont naivement representees leurs mœurs, humeurs, tirannies, cruautez, desseins, inventions, feintises, tromperies, et generalement leurs artifices et practiques. Le tout confirmé par histoires arrivés en France de nostre temps, non moins veritables que tragiques et prodigieuses, Paris, Rollet Boutonné, 1623, in-8, 16+643 p. Priv. 25 1 1623, accordé à Pierre Billaine, cédé à Joseph Guerreau, cédé après à Rollet Boutonné,
25. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« quatriesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1623, in-12, 431 + 24 p.
26. *Thomas Sonnet, Sieur de Courval, Satyre menippee contre les femmes : sur les poignantes traverses et incommoditez du mariage, Lyon, Vincent de Coeursilly, 1623, in-8.
27. Honorat de Ménier [ou Meynier], Provençal, La perfection des femmes, Avec l’imperfection de ceux qui les mesprisent, A la plus parfaicte du monde, Paris, Julian Jacquin et Nicolas Alexandre, 1625, in-8, 8+62+2 p. Priv. 23 3 1625 (en faveur de ??).
28. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« cinquiesme edition »], Paris, Jean Petit-Pas, 1626, in-12, 431 + 24 p.
29. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine [« quatriesme edition »], Lyon, par Claude Armand dit Alphonse, 1628, in-12, 431 + 24 p. [première édition pirate]
30. Nicolas Angenoust, Sieur d’Avans, Le paranymphe des dames, Troyes, Pierre du Ruau, 1629, in-8, 24 + 271+ 1 p.
31. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmenté d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine, Rouen, Robert Féron, 1630, in-12, 431 + 24 p. [deuxième édition pirate]
32. *Trousset, Alphabet […] Reveu, corrigé, et augmente d’un friant dessert, et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans de la femme mondaine, Rouen, David Ferrand, 1631, 431 + 24 p. [troisième édition pirate]
33. *L’Escale, Alphabet de l’excellence et perfection des femmes contre l’infame Alphabet de l’imperfection des femmes, in-12, Paris, Nicolas de la Vigne, 1631, 508 p. Priv 15 6 1631 (en faveur de ??)
34. [Jacques Du Bosc, Cordelier], L’honneste femme, Paris, Pierre Billaine, 1532, in-8, 8 + 347 p. Priv. 28.7.1632 (en faveur de Pierre Billaine, qui en a cédé la moitié à Jean Jost) ; achevé d’imprimer 3 9 1632
Canards : 15, 16, 17, 22, 23;
Réimpressions : 11 [1614], 14 [1554], 15 [c. 1590], 17 [1571], 26 [1609-10]
En Angleterre :
1. Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, Edward Ailde for Thomas Archer [bookseller], 1615, in-4, 64 p.
2. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, George Purslowe for Thomas Archer [bookseller], 1615, in-4, 64 p.
3. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, Thomas Snodham for Thomas Archer [bookseller], 1615, in-4, 64 p.
4. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, Thomas Snodham for Thomas Archer [bookseller], 1616, in-4, 64 p.
5. D[aniel] T[uvill], Asylum veneris: or a sactuary for ladies, London, E[dward] G[riffin] for Laurence L’isle [bookseller], 1616, in-8, [162] p.
6. Rachel Speght, A Mouzell for Melastomus […] or an Apologeticall Answere to […]Io. Sw., London, Nicholas Okes for Thomas Archer [bookseller], 1617, in-4, 38p.
7. Ester Sowernam [ps.], Ester hath hang’d Haman: or an Answere to a lewd pamphlet, entitled, The Arraignment of Women, London, by and for Nicholas Bourne, 1617, in-4, 51 p.
8. Constantia Munda [ps.], The Worming of a mad Dogge: or a soppe for Cerberus, London, for Laurance Hayes, 1617, in-4, 354 p.
9. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, Thomas Snodham for Thomas Archer [bookseller], 1619, in-4, 64 p.
10. Anon., Swetnam, the Woman-hater, arraigned by women. A new comedie, London, for Richard Meighen, 1620, in-4, [84 p.]
11. C[hristopher] N[ewstead], An apologie for women: or Women’s defence, London, Edward Griffin for Richard Whittakers, 1620, in-8, 55 p.
12. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, Bernard Alsop for Thomas Archer [bookseller], 1622, in-4, 64 p.
13. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, London, A.M. for Thomas Archer [bookseller], 1628, in-4, 64 p.
14. *Joseph Swetnam, The araignment of lewde, idle, froward, and unconstant women, Edinburgh, John Wreittoun, 1629, in-4, 64 p.