Université Paris-Sorbonne(Paris-IV) Agence Nationale de la Recherche
Rebecca Bullard commence par expliquer qu’il existe plus d’une soixantaine de textes intitulés en anglais “Secret Histories”. Ces textes soulignent la dynamique entre le discours politique et des concepts littéraires comme celui de la fiction. Ils révèlent les secrets des puissants, à l’instar d’Antoine Varillas, Anekdota heteruriaka (1686) qui relate les intrigues politiques à la cour des Médicis. Ce genre est conscient de sa dimension littéraire, fondée sur le secret et la révélation. The Secret History of the Court of the Emperor Justinian, paru en 1674, est le premier titre à comporter la mention d’histoire secrète. Il y a là une référence possible à la cour de Charles II, lequel deviendra lui-même l’objet de nombre d’histoires secrètes, ainsi que James II. Les idées politiques développées par ces histoires secrètes sont relativement convenues : la France contrôle le roi Charles II ; les rois sont placés sous le pouvoir arbitraire des femmes (“petticoat government”). Cette forme d’histoire cherche donc à s’opposer au gouvernement arbitraire, à combattre les Jacobites, etc. Leurs auteurs utilisent l’imprimerie pour divulguer les rumeurs et répandre ce qui est chuchoté. Elles relèvent, par ailleurs, d’une forme d’histoire révisionniste, car elle viennent toujours corriger une histoire précédente ou une version officielle de l’histoire. Mais il s’agit néanmoins d’une forme rhétorique complexe. En effet, dans l’ensemble, les histoires secrètes se présentent comme des actes rhétoriques plutôt que comme des façons de révéler des secrets. Certes, un texte comme celui de Swift, The Conduct of the Allies, cherche à mettre au jour des choses cachées, et nombre de ces histoires proclament qu’elles publient des secrets qui n’ont jamais vu le jour auparavant. Mais comment interpréter le motif de la révélation lorsque ce qui est révélé n’est manifestement pas un secret ? En fait, il ne faut pas prendre le thème au pied de la lettre mais l’aborder plutôt comme une stratégie auctoriale, comme une façon de montrer son appartenance au parti whig. En ce sens, des affirmations fausses ou fictives peuvent néanmoins avoir un effet. A partir des années 1690, on constate une forte augmentation du genre. Un certain nombre de ces histoires sont au demeurant des traductions du français. C’est une façon également de contraster la corruption du règne de Charles II avec l’ouverture de celui de William III : “we now live in a Reign, where Truth does not pass for Treason”, écrit par exemple John Sommers en 1702 dans The True Secret History the of the Lives and Reigns of All the Kings and Queens of England, faisant directement référence aux dernières paroles d’Algernon Sidney. Mais ces textes sont souvent complexes et jouent du secret de façon variée. Defoe publie ainsi en 1714-5 The Secret History of the White Staff dans le contexte de l’impeachment de Harley, et le texte semble attaquer Harley. Mais, en fait, l’attitude de Defoe vise avant tout à défendre Harley qui voulait déjouer la conspiration des Jacobites. Defoe y livre en quelque sorte un éloge du secret. Rebecca Bullard conclut en montrant que ces textes sont importants d’un point de vue narratif, car il s’agit d’histoires, c’est-à-dire de formes narratives complexes. D’autre part, elles encouragent une certaine forme de scepticisme politique, le public tenant pour suspect ce qu’il ne connaît pas. Enfin, il s’agit d’un traitement sophistiqué de la forme de la fiction, introduisant des doutes vis-à-vis des faits comme de la fiction. L’acte de dévoilement est en lui-même une fiction.
Date
11 Décembre 2014